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A retenir

Votre entreprise dispose d’une filiale dans un autre pays européen et cette filiale vous fournit des services ? La nouvelle mode de l’administration fiscale consiste à considérer cette filiale comme votre établissement stable « passif » avec toutes les conséquences que cela peut comporter en matière de TVA.

Une entreprise avertie en vaut deux.

 

Une entreprise qui cherche à développer ses activités économiques dans un autre pays peut décider de passer par un agent commercial local pour y booster ses ventes. La mission dévolue à cet intermédiaire commercial peut être plus ou moins vaste : présenter les produits, trouver des nouveaux clients, prendre les commandes, assurer le suivi administratif des contrats, etc. Cet agent commercial peut être une entreprise indépendante ou une société du groupe. Une filiale locale peut ainsi très bien endosser ce rôle commercial et facturer ses services à sa maison-mère. En général elle est rémunérée sur la base de la somme de toutes ses dépenses, majorée d’un pourcentage oscillant, selon les secteurs, de 3,5% à 10% par année civile (méthode dite du « cost-plus »).

La présence d’un agent commercial dans un pays étranger a manifestement donné des idées aux administrations fiscales ces dernières années. Elles y voient une opportunité pour ramener dans leur giron la recette TVA due entre l’agent et son commanditaire. L’angle d’attaque est toujours le même : l’agent commercial constitue un « établissement stable passif » de la société étrangère dans le pays. Cette approche agressive leur permet de relocaliser les services rendus à l’entreprise pour les taxer dans le pays dudit établissement (point de rattachement dérogatoire) plutôt que dans le pays où l’entreprise a établi le siège de son activité économique (point de rapprochement prioritaire).

Et la tendance est la même dans tous les pays européens avec un mention particulière pour la France, l’Espagne, la Pologne ou encore la Belgique.

Prenons l’exemple concret suivant

Un prestataire polonais fournit des prestations de services informatiques à une entreprise belge. Les services sont normalement taxés en Belgique. Toutefois, si la société belge dispose d’un établissement stable passif en France et que les services informatiques lui sont destinés, alors ils seront taxés en France plutôt qu’en Belgique.

On voit par cet exemple le litige TVA apparaître : dans l’esprit des services fiscaux, n’importe quelle présence sur un territoire étranger est susceptible de constituer un établissement stable « passif » : la simple location d’un entrepôt (Pologne, Espagne), un agent commercial ou même … une société filiale.

C’est la mésaventure survenue en Roumanie par une entreprise allemande.

La réponse apportée par la Cour de Justice

La jurisprudence européenne s’est penchée à moultes reprises sur la notion d’établissement stable « passif » pour tenter d’en déterminer les contours. L’arrêt commenté ici apporte sa pierre à l’édifice :

  • Pour qu’il y ait établissement stable, il n’est pas requis de détenir les moyens humains ou technique en propre. Si ces moyens humains ou techniques appartiennent à un tiers, il est en revanche nécessaire que l’entreprise ait le pouvoir de disposer de ces moyens comme s’ils étaient les siens.
  • Les mêmes moyens ne peuvent pas être utilisés à la fois pour fournir et pour recevoir les mêmes services

Les services de représentation commerciale et de marketing fournis par la société roumaine sont reçus par la société allemande qui utilise ensuite ses propres moyens humains et techniques situés en Allemagne pour conclure et exécuter les contrats de ventes avec les distributeurs de se produits en Roumanie. De ce fait, la société allemande ne dispose pas d’un établissement stable en Roumanie.

Arrêt de la Cour de Justice du 07/04/2022, Berlin Chemie A. Menarini SRL, case C-333/20

Que retenir de cet arrêt?

Contrairement à ce que l’administration fiscale imagine, le fait pour une filiale locale de fournir des services exclusivement à sa maison-mère n’entraîne pas de facto l’existence d’un établissement stable passif dans le chef de cette dernière.

La question de l’établissement stable passif est-elle pour autant définitivement réglée par cet arrêt ? Non. La cour ferme la porte mais laisse la fenêtre grande ouverte : à la lumière de la réalité économique et commerciale, une filiale pourrait in fine constituer l’établissement stable passif de la société-mère !

Par ailleurs, la question de l’établissement stable « actif » n’a pas été abordée dans cet arrêt.

Encore que cet arrêt ait tracé certaines balises, les administrations fiscales continueront vraisemblablement à jouer de l’incertitude. Ils vont pouvoir continuer à viser les entreprises étrangères sur leur territoire en risquant une double imposition. Mais la partie n’est pas finie pour autant. Une autre affaire (qui concerne la Belgique cette fois) est pendante devant la CJUE. Preuve que l’entreprise qui dispose de filiales à l’étranger a tout intérêt à suivre cette actualité TVA de près si elle veut pouvoir se défendre lorsque l’administration fiscale étrangère frappera à sa porte.