Les dangers d'une vente en chaîne
Participer à une vente en chaîne représente toujours un danger en TVA, surtout lorsque votre entreprise se trouve au milieu de la chaîne. Dans ce cas, il n’est pas toujours aisé de déterminer dans quelle relation doit être imputé le transport intracommunautaire. Or, cette question est d’une importance capitale pour définir le traitement correct de l’ensemble du modèle.
Une société néerlandaise en a fait l’amère expérience en Pologne.
L'affaire
Un fournisseur polonais vend des biens à une société néerlandaise qui les revend à son tour à des clients européens. Les marchandises sont directement expédiées de Pologne vers les clients finaux dans un autre pays de l’UE.
On se trouve donc bien dans une vente en chaîne de type ABC : A qui vend à B qui revend à C.
Il se fait que la société néerlandaise dispose d’un numéro de TVA polonais. Voulant éviter les ennuis avec l’administration fiscale polonaise, elle décide d’imputer le transport dans la seconde relation (BC):
- AB : livraison interne
- BC : livraison intracommunautaire
Elle communique à cet effet son numéro de TVA polonais à son fournisseur polonais qui lui délivre une facture avec TVA polonaise. La société néerlandaise dépose sa déclaration TVA en Pologne et demande la déduction et le remboursement effectif de la TVA ainsi payée.
L'affaire résumée en une image
Litige TVA
La société fait l’objet d’une procédure de contrôle diligentée par l’administration polonaise. Pour cette dernière, l’imputation du transport dans la relation BC n’est pas correcte. Le transport intracommunautaire affecte la première relation AB de sorte que la chaîne des opérations se traite comme suit :
- AB : livraison intracommunautaire
- BC : livraison interne
Pourtant, le chemin vers l’enfer fiscal est parfois pavé des meilleurs intentions. C’est à ce stade que l’administration polonaise va tout simplement disjoncter.
- La livraison AB a été traitée par les parties comme une livraison nationale soumise à la TVA polonaise. C’était une erreur. Le remboursement du crédit TVA est donc refusé. Il s’agit pour l’administration fiscale d’une livraison intracommunautaire dans le chef du fournisseur polonais qui, néanmoins, ne peut être exonérée puisque la société néerlandaise a communiqué son numéro de TVA polonais. Cette opération est donc soumise à la TVA en Pologne.
- La livraison intracommunautaire dans le chef du fournisseur a pour corollaire l’acquisition intracommunautaire dans le chef de l’acquéreur néerlandais. Cette acquisition est en principe soumise à la TVA dans le pays d’arrivée des biens. A défaut, elle est taxée dans le pays d’identification à la TVA de l’acquéreur, c.à.d. le numéro de TVA sous lequel l’opération est réalisée. C’est ce que l’on appelle dans le jargon TVA le « filet de sécurité ». L’opérateur subit donc une double taxation à la suite du point de vue de l’administration fiscale polonaise. La base d’imposition dans le pays d’identification pourra toutefois être réduite à néant dès lors qu’une l’acquéreur démontre qu’il a soumis l’acquisition intra-communautaire à la TVA dans le pays d’arrivée.
Or, dans le cas d’espèce, ce n’est pas la société néerlandaise qui a déclarée l’acquisition intracommunautaire (mais son propre client). En outre, elle a communiqué son numéro de TVA polonais à son fournisseur. Tous les ingrédients sont donc réunis pour pouvoir faire application du filet de sécurité et pour taxer cette acquisition intra-communautaire en Pologne.
La société néerlandaise, qui ne voulait pas d’ennuis, se voit au final réclamer 46% de TVA (2 x 23%) !
Elle introduit plusieurs réclamations administratives sans résultat et puis un recours judiciaire qui aboutit in fine devant la Cour de Justice.
La réponse de la Cour
La Cour commence par suivre le raisonnement de l’administration polonaise : le filet de sécurité est applicable quand bien même le pays d’identification est aussi le pays de départ du transport.
Mais elle s’en écarte ensuite du point de vue de l’administration fiscale polonaise en indiquant que la livraison intracommunautaire, une fois avérée, est exonérée de la TVA dans le pays de départ. Or l’administration fiscale polonaise avait estimé que l’exonération ne pouvait pas s’appliquer en arguant du numéro de TVA polonais mentionné sur la facture. Dès lors que le risque de perte de recettes fiscales est écarté, grâce au filet de sécurité, et que les conditions de fond auxquelles la livraison intra-communautaire est subordonnée sont satisfaites, il ne peut être question de réclamer aussi le paiement de la TVA sur la vente intra-communautaire .
L'oeil de l'expert
Dans cette affaire, la société néerlandaise a évité de justesse la double imposition voulue par l’administration polonaise, mais n’est pas au bout de sa peine pour autant. Elle ne pourra en effet récupérer la TVA polonaise que si elle corrige tout le modèle et prouve qu’elle a bien déclaré l’acquisition intracommunautaire soit dans le pays d’arrivée des biens (ce qui est peu probable vu que ces acquisitions ont déjà été déclarées par ses clients) soit dans un autre pays européen (par application du régime triangulaire simplifié).
Plusieurs éléments intéressant sont à retenir de cet arrêt :
- L’imputation du transport demeure la question-clé des ventes en chaîne. Le règlement européen introduit en 2020 dans tous les pays européens (quick fixes) et qui avait pour objectif de réduire les risques de conflit sur ce sujet ne résout que partiellement la question.
- La société batave plutôt que d’agir sous son numéro de TVA polonais et de recevoir une facture avec TVA polonaise afin d’éviter les ennuis avec l’administration fiscale polonaise, aurait dû plutôt maitriser la mécanique TVA de la vente en chaîne.
- La rigueur dans l’analyse du traitement TVA des opérations en chaîne est une meilleure garantie contre les risques TVA. La bonne volonté ne suffit pas, surtout vis-à-vis d’administrations fiscales à la recherche, à tout crin, de recettes fiscales.